Afin que nul n'oubli l'histoire de l'Algérie

Publié le par Chawki Mostefaï

En ce jour anniversaire des événements tragiques de 1945, qui ont endeuillé les villes de Guelma et Sétif ainsi que tout leur arrière pays, nous nous recueillons avec émotion et ferveur au souvenir de tous ces martyrs dont on a versé le sang généreux, en ces journées de Mai 1945.

C'est un grand honneur que les organisateurs de cette commémoration me font en me demandant d'apporter un témoignage vivant des événements que nous avons personnellement vécus et initiés, en même temps d'ailleurs que d'autres militants, dirigeants et cadres du Parti du Peuple AIgérien dont la plupart, malheureusement, sont disparus, emportant avec eux une parcelle de l'Histoire du mouvement national algérien.

Je vous remercie , mes frères et mes sœurs , et en même temps , je vous félicite de votre initiative qui porte la marque de la fidélité à notre idéal et à la mémoire de tous ceux qui ont pilonné leur vie pour la liberté. Le culte du souvenir est une condition de survie de l'âme d'un peuple.

Votre initiative est d'autant plus méritoire que nous avons assisté depuis notre indépendance en 1962, à une conspiration du silence sur l'origine réelle et lointaine de l'action libératrice et appropriation, parfois insidieuse, d'autres fois, frontale, de la paternité de la politique et de l'action menée BENYOUCEF Ben Khedda, a, dans son livre « Les origines du 1er Novembre 1954» (page 22), mis l'accent sur cette tentative d'escamotage de l'Histoire. « On ne saurait, dit-il, trop insister sur l'aspect pernicieux de l'attitude qui consiste à sanctifier la Révolution mais en faisant table rase du passé ».

Beaucoup de choses ont été écrites sur cette période de Mai 45. Et pourtant, malgré la qualité des auteurs, leur professionnalisme ou leur expérience du mouvement national, les tenants et aboutissants des manifestations du 1er Mai 45, du 8 Mai, de ce qu'on appelé l'ordre d'insurrection et du contre-ordre, n'ont pu être cernés avec toute la rigueur nécessaire par ceux qui ont rapporté l'événement sur la base de témoignages dont les auteurs ont, très certainement, oublié ou confondu certains détails, qui heureusement, n'ont pas modifié, fondamentalement, la substance et la signification des faits.

C'est pourquoi l'initiative de votre association historique et culturelle du 11 décembre 1960, est à ce point judicieuse, de faire appel directement aux personnes qui ont eu à prendre des décisions urgentes et assumer des responsabilités importantes. C'est le cas de Said AMRANI, et de moi-même qui avons la chance et l'avantage d'être deux survivants de cette Direction politique qui a marqué un tournant décisif dans la marche de notre pays vers son indépendance.

L'usage a consacré la dénomination de Direction du Parti, Parti du Peuple Algérien, (P.P.A), pour désigner des membres actifs dont chacun assumait une tâche spécifique, telles que Secrétariat général, organisation, relations publiques, Finances, agitation, propagande, etc.. Ce noyau faisait partie de la Direction élargie qui, elle, englobait tous les militants qui ont eu à jouer un rôle de direction à un moment ou à un autre, et qui se réunissait, soit à l'occasion d'un événement d'importance qui requérait le maximum d'avis en vue d'une décision, soit, tout simplement, parce qu'un membre en manifeste le désir, auquel cas il participe aux réunions de la Direction. C'est par exemple le cas de Chadli EL MEKKI qui se trouvait à Alger au moment des massacres de Sétif et Guelma, de ABDOUN présent à Alger et dont on a jugé bon de demander l'avis, pour maintenir ou arrêter l'ordre d'une action qu'on a par ailleurs, par simplification, amalgame, ou pernicieuse Intention appelé « ordre d'insurrection ». C'est ainsi que, la composition de la Direction du Parti ou bien la responsabilité de décisions ou d'attitudes varient d'un auteur à l'autre. Par exemple Mahfoud KADDACHE dans son livre « Histoire du Nationalisme Algérien » et situant la décision des manifestations du 1er MAI 45 par le Bureau clandestin du PPA au 30 Avril, soit la veille des manifestations, écrit (page 699) que c'est sur l'insistance de HAFIZ Abderrahmane, MEZERNA Ahmed, MOKRI Hocine, et HENNI Mohamed, que la décision a été prise de manifester le 1er Mai ; BENKHEDDA Benyoucef, dans son livre « les origines du 1er' Novembre 54 » (page 97), fait remarquer la difficulté de cerner la composition de la Direction du PPA en citant, en plus de la liste précédente, DEBAGHINE Mohamed Lamine, CHERCHALLI Hadj Mohamed, AMRANI Said, BOUDA Ahmed, ASSELAH Hocine, MOSTEFAI Chawki, KHELIL Amar, FILALI Embarek. A ces noms, il faudrait ajouter, rappelle ABDELHAMID Sid Ali, BOUKADOUM Messaoud et TALEB Mohamed.

C'est dire à quel point, est difficile et hasardeuse la relation de l'Histoire d'un mouvement de libération tel que le nôtre, des attitudes et des actes des uns et des autres parmi les opérateurs et protagonistes de l'événement, quand la source de l'information est basée sur le seul souvenir des hommes.

C'est pourquoi, je m'efforcerai d'apporter à mon témoignage, élaboré avec la participation de Said Amrani et Sid Ali Abdelhamid, le maximum d'exactitude avec l'espoir que ce témoignage sera la mise au point, attendue, de la relation des événements, des tenants et aboutissants de cet épisode crucial de l'histoire de notre mouvement de libération nationale.

C'est le vœu que j'exprimai déjà dans mon témoignage lors de la commémoration du 8 Mai 45 par la section de Guelma en 1995, témoignage dont je reprends, aujourd'hui, de larges extraits. Mais n'ayant ni le temps, ni la compétence et la prétention de faire œuvre d'historien, il me plait de recommander à notre jeunesse la lecture de travaux de grande qualité sur le mouvement national de libération que sont les livres de Mahfoudh KADDACHE (Histoire du nationalisme algérien), de Benyoucef BENKHEDDA (les origines du 1er Novembre 1954), de Mohamed HARBI (le FLN : mirage et réalité), de Redouane AINAD-TABET (le 8 Mai 1945), ainsi que de nombreux autres auteurs.

L'avantage pour moi d'avoir été contemporain et au milieu des événements, du fait de mes propres responsabilités, me permet, d'apporter aux récits et interprétations des faits de cette période de l'Histoire du mouvement national, une vue originale et vécue pour compléter, préciser et si nécessaire rectifier certaines choses.

Pour en revenir à l'événement, cet épisode de notre lutte qu'est le mois de Mai 1945, se caractérise par quatre faits saillants :

1/ LES MANIFESTATIONS DU 1er Mai 1945.
2/ LES MANIFESTATIONS DU 8 Mai 1945.
3/ L'ORDRE D'ACTION DE DIVERSION DIT «D'INSURRECTION GENERALE»
POUR LA NUIT DU 23-24 MAI 45.
4/ LE CONTRE ORDRE DU 18 MAI 1945

Le contexte dans lequel ces événements ont eu lieu, est le résultat d'une activité militante qui remonte généralement à l'existence et au développement de l'idée nationale à travers l'Etoile Nord Africaine des années 30 et au Parti du Peuple Algérien, et d'une manière plus précise à la réactivation de cette organisation au début de la dernière guerre en 1940.

Le Parti du Peuple Algérien s'était enrichi d'un apport nouveau par l'intégration de la jeunesse universitaire nationaliste a l'occasion d'une tentative de recrutement de Mohamed Lamine DEBAGHINE, par un groupe d'étudiants qui avait décidé le déclenchement de la lutte insurrectionnelle à partir du 1er Octobre 1940, suite à la débâcle de la France le 18 juin 1940. Cette tentative s'est soldée, sur les conseils judicieux de Mohamed Lamine DEBAGHINE qui assurait le leadership de la Direction politique du P.P.A, par une intégration du groupe étudiant dans les rouages du P.P.A et la désignation d'un des leurs en l'occurrence MOSTEFAI Chawki, à titre de caution et garantie, comme membre à part entière de la Direction du Parti.

La défaite militaire de la France ayant entraîné la démobilisation de Ferhat ABBAS, Pharmacien, une démarche a été faite auprès de lui, à l'hôtel des négociants rue d'isly à Alger au courant de l'automne 1940 par Mohamed Lamine DEBAGHINE et moi-même, au nom du Parti, pour l'inviter, vue la conjoncture nouvelle d'affaiblissement de la France, d'abandonner la politique d'assimilation poursuivie jusque là et d'embrasser une politique indépendantiste de libération nationale. Ferhat ABBAS n'était, dit-il, « pas homme à changer de fusil d'épaule ». La même démarche faite au lendemain du débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 l'a trouvé en de meilleures dispositions.

La Direction, en la personne de Mohamed Lamine DEBAGHINE l'a saisi d'un projet de programme politique devant guider désormais notre action commune. C'est ainsi que Ferhat ABBAS a rédigé un programme politique qu'il a intitulé « Manifeste du Peuple Algérien ». L'initiative du Parti P.P.A dans la naissance du Manifeste a été occultée par tous les auteurs sauf Benyoucef BENKHEDDA dans les origines du 1er Novembre 54 (page 91) y compris par Mahfoud KADDACHE (Page 639) dont l'œuvre, remarquable par ailleurs, constitue l'ouvrage le plus documenté, à ma connaissance, sur l'Histoire du Mouvement National.

Aussi bien en ce qui le concerne que d'autres écrits, mon intervention, plutôt que de refaire l'Histoire, servira davantage à compléter et à corriger éventuellement ce que le vécu des choses m'autorise à combler comme oubli, non information ou erreur.

Grâce au Manifeste, et à son Additif adopté le 26 Mai 1943 par les sections Arabes et Kabyles des Délégations financières, additif que nous n'avons pas avalisé en raison de sa référence à l'Union Française, Ferhat ABBAS a néanmoins accompli un travail considérable en diffusant dans les milieux de la bourgeoisie intellectuelle et commerçante, l'idée du nationalisme, modéré certes, mais remettant en cause le sacro- saint dogme de l'Algérie française. C'était là, une avancée intéressante. La nécessité se fit bientôt sentir de structurer ce vaste mouvement d'opinion pour le rendre capable d'entraîner les masses populaires dans des actions qui s'avéraient indispensables en raison des attitudes négatives et dilatoires des autorités françaises dont le seul souci était l'effort de guerre. KADDACHE décrit parfaitement tout ce scénario, qui explique la montée en température de l'opinion en général. Ferhat ABBAS prend l'initiative de lancer un mouvement politique : les Amis du Manifeste et de la Liberté (les A.M.L.) et invite le P. P.A, en la personne de Hocine ASSELAH, chargé des relations avec lui, de promouvoir une organisation de masse. Le P.P.A s'y employa efficacement grâce à son organisation clandestine qui déploya une activité au grand jour, s'avéra ainsi d'une grande efficacité et, par la force des choses, devint la colonne vertébrale des A. M. L. Si bien que lorsqu'il fallut décider de Manifester pour son propre compte au plan syndical, le 1er Mai et le jour de la victoire, le P.P.A fut accusé d'avoir noyauté les A.M.L dans le but de mener sa propre politique en trahissant la confiance de ses partenaires.

Ce qui était absolument contraire à la réalité. En effet, le P.P.A, en raison de sa politique radicale , représentait pour le pouvoir colonial l'ennemi à abattre. Et comme il y avait eu des antécédents de tentatives de rapprochements, de nationalistes algériens dont OUAMARA Rachid, RADJAF Belkacern pour obtenir aide et appui des Allemands dans leur action anti- coloniale, il était facile pour l'Administration de taxer le P.P.A e{ ses militants de collaborateurs de l'Allemagne hitlérienne , et ce malgré la position non équivoque, anti-nazie et pro-occidentale de MESSALI Hadj, emprisonné à El Harrach depuis le 4 Octobre 1939. Il en était de même pour le Parti Communiste Algérien qui prétendait exercer une influence prédominante sur la classe ouvrière algérienne, et dénonçait la politique nationaliste du P.P.A comme une politique aventureuse, contraire aux intérêts du peuple algérien, alors que le salut résidait, d'après lui, dans des liens étroits avec le peuple français. L'influence du P.P.A était contestée par certains, y compris par les Américains. Le P.P.A qui avait gardé son individualité propre se trouvait au printemps de cette année 1945, dans l'obligation absolue de démontrer, si ce n'est son influence sur le prolétariat algérien, influence qui était réelle, au moins la rupture quasi-totale entre l'opinion des masses ouvrières, ne parlons pas des masses paysannes, avec l'idéologie et la politique des Partis Communistes algériens et français.

C'est ainsi que s'expliquent les manifestations du 1er Mai décidées unilatéralement par la Direction du P. P.A au début du mois d'Avril, et ce à travers tout le territoire national. Ce n'est pas la déportation de MESSALI, de Chellala où il était en résidence, à El Goléa dans un premier temps, puis à Brazzaville, qui a motivée les manifestations du 1er Mai, pour la simple raison qu'on ne peut pas, quelle que soit la puissance d'une organisation clandestine, décider d'une action à l'échelle du pays en quelques jours. Said AMRANI raconte que la veille du 1er Mai, soit le 30 Avril il a passé sa journée et une partie de la nuit à tirer des tracts à la ronéo, dans le local de la rue Socgemaa (Souk El Djemaa), pour les transporter à Oran le lendemain par train, en compagnie de Ahmed MEZERNA.

Tracts dénonçant la déportation de MESSALI Hadj et les arrestations des militants de Ksar Challala dont Saàd DAHLEB notamment. Le 1er Mai, fête du travail a été une action essentiellement politique et, occasionnellement, une protestation contre l'arbitraire et la provocation coloniale.

Si on se penche sur les motivations du 8 Mai 45, le caractère politique et impératif est encore plus évident.

Depuis le mois de Mars 1945, la défaite allemande s'avérait imminente. Le mouvement des AML, avait pris un développement fulgurant et ce à l'échelle du territoire national, dû pour une bonne part, à l'action de l'organisation du Parti P.P.A. L'état d'esprit de la population était marqué par l'impatience et le désappointement devant le refus obstiné de l'autorité locale et du pouvoir métropolitain d'accorder une quelconque attention aux revendications nationales, mêmes quand elles sont empreintes de modération et d'esprit de compromis. Les Alliés Anglo-Américains accordaient à la

France, le privilège du monopole colonial dans le traitement des affaires politiques en Algérie, et ailleurs, en vertu de la priorité de la guerre sur toute autre préoccupation.

A la Direction du P.P.A, nous étions conscients que les effets conjugués de la propagande française, relayée par celle des Partis Communistes algériens et français, devaient être combattus avec toute la vigueur nécessaire si nous ne voulions pas laisser accréditer aux yeux du camp occidental l'idée que le «peuple algérien était l'allié de l'Allemagne nazie. Il fallait frapper un grand coup et démontrer, au moment de la célébration prochaine de la victoire définitive du camp de la Démocratie sur l'Hitlérisme, que le peuple algérien, partisan de la Démocratie et de la Liberté des peuples, entendait célébrer dans la joie et l'enthousiasme la fin du cauchemar né de l'Hitlérisme et son équivalent le Colonialisme, contre lesquels le peuple Algérien a consenti les plus grands sacrifices sur tous les fronts de la guerre et autres Cassino.

Et pour profiter au maximum du retentissement médiatique, à l'échelle mondiale de la victoire des pays de la Charte de l'Atlantique, l'Algérie devait fêter savictoire en tant que peuple, en tant que nation opprimée, indépendamment de la France et de ses institutions, en arborant tout haut l'Emblème de sa propre souveraineté.

C'est ainsi que nous décidâmes, au sein du Comité Directeur, de défiler le jour des manifestations de la victoire, en arborant le drapeau de l'Etoile Nord Africain et P.P.A en tête des cortèges.

Hocine ASSELAH reçut pour mission de la Direction de retrouver un exemplaire du drapeau avec lequel MESSALI Hadj avait défilé en 1937 du Champ de manœuvre à la grande poste: drapeau, écrira plus tard, ce dernier, dans ses mémoires, qui avait été conçu et cousu par Mme MESSALI elle même. La recherche de Hocine ASSELAH s'avéra infructueuse et au bout d'une semaine, il nous avisa que, même au musée Franchet d'Esperay qu'il avait visité pour la circonstance, il n'y avait pas trace du drapeau de Mme MESSALI. Ce que voyant, nous décidâmes d'en fabriquer un, aux couleurs suggérées par différentes personnes, à savoir, vert, blanc et rouge.

Nous fûmes désignés, Hocine ASSELAH, Chadly EL MEKKI et moi même afin de concevoir un, ou plusieurs modèles de drapeaux, que la Direction adopterait. A nous trois, nous décidâmes de nous réunir le lendemain au lieu de nos réunions, rue Socgemaa (Souk El Djemaâ) dans l'appartement de 2 pièces du 2ème étage mis à la disposition de l'organisation en la personne de Said AMRANI par MOUFDI Zakaria et HENNI Mohamed, surnommé DAKI, pour les besoins de l'organisation du Parti, laquelle relevait de la responsabilité de Said AMRANI. Celui-ci le mit à la disposition de SMAI Abderrahmane, militant de l'organisation, pour en faire un local professionnel de tailleur, profession qui appelle des visites nombreuses de clients supposés, sans attirer autrement l'attention d'une quelconque surveillance policière. Cela convenait parfaitement au rôle dévolu à ce local puisque, pendant des années, il servit, sans anicroche, de lieu de réunion aux organismes dirigeants du Parti. C'est là qu'une certaine matinée du mois de Mars ou Avril je me suis rendu avec, dans la poche, mon équerre et mon compas, des feuilles blanches et une boite de crayons de couleurs bien taillés, ainsi que des esquisses de différentes combinaisons de drapeau.

La discussion a porté sur les positions relatives de l'étoile et du croissant, sur les couleurs, sur la signification et les symboles des motifs envisagés. Le choix définitif de la Direction s'est porté sur le modèle actuel. A savoir, le croissant à cheval sur le vert et le blanc et l'étoile dans le blanc à l'intérieur des deux branches du croissant. La forme actuelle a été obtenue grâce à l'initiative de Benyoucef BENKHEDDA et de Hadj CHERCHALLI son chef de cabinet à la présidence du G.P.R.A en 1961, qui ont confié à Mokhtar LAATIRI, un ingénieur tunisien, le soin d'en déterminer les caractéristiques techniques, mathématiques pour la forme, et physiques pour les couleurs, de telle sorte que la fabrication des emblèmes de quelque dimension que ce soit, obéissant à des paramètres stricts, aboutit à une forme et des couleurs rigoureuses toujours identiques à elles-mêmes . Ce drapeau avait été confirmé comme emblème national au comité central du Parti en 1949, puis normalisé par une décision du G.P.R.A au cours de sa réunion du 3 avril 1962 à Tunis et enfin institutionnalisé par la loi n° 63-145 du 25 avril 1963 de la République Algérienne Démocratique et Populaire.

Avant de clore ce chapitre, je crois devoir préciser que dans notre esprit, nous venions de créer un emblème auquel s'attache une volonté de différenciation, de scission avec le symbole tricolore de la souveraineté française, nous n'avions pas crée le futur drapeau de la nation algérienne. Ce sont les événements, c'est par la force des choses que cet emblème a acquis ses droits de cité, c'est par la puissance de l'idéal qu'il sous-tendait ; c'est par l'abnégation et l'esprit de sacrifice, de ceux qui l'ont porté, avec honneur et gloire, ce sont les milliers et les centaines de milliers de Chouhada qui ont donné leur vie pour qu'il reste debout, face au vent et à l'ennemi ; c'est pour tout cela qu'il est devenu, par le vert, le symbole de l'espérance et du progrès, par le blanc, le symbole de la paix, par l'étoile et le croissant le symbole de l'Islam. Progrès, Paix, Allah ; ce fut une étrange coïncidence avec les trois lettres du Parti du Peuple Algérien (P.P.A ) inventeur et artisan de l'Indépendance nationale.

Nous en étions là, à attendre la défaite officielle de l'Allemagne et la célébration de la victoire des Alliés. Les instructions ont été diffusées à travers tout le territoire pour organiser des défilés indépendants de ceux organisés par l'administration coloniale en association, avec les représentants des forces alliées, c'est à dire essentiellement les Anglo-Américains.

Le modèle du drapeau, qui venait d'être adopté par la Direction a été distribué aux sections à Alger et distribué au reste des villes de l'intérieur pour le fabriquer et le tenir prêt «pour le jour « J » dont, naturellement, on ne connaissait pas encore la date exacte. C'était une tâche dévolue à Said AMRANI en tant que responsable de l'organisation au sein de la Direction.

Nos cortèges avaient pour consignes, dans toute la mesure du possible d'arborer les drapeaux de tous les alliés, Etat-Unis d'Amérique, Grande Bretagne , URSS et y compris celui de la France.

LES MANIFESTATIONS DU 1er MAI.

La consigne donnée aux organisations du Parti était une part de boycotter les défilés organisés par la CGT et le PCA et, d'autre part, organiser, dans la mesure du possible, un défilé «indépendant en arborant des pancartes portant les slogans nationalistes tels : «Parlement Algérien», «Libérer MESSALI», «Libération de tous les détenus politiques», «Indépendance», «etc. Dans de très nombreuses villes de l'Est à l'Ouest, la consigne fut observée avec un grand succès. A Alger la capitale, la manifestation fut grandiose. Pour faciliter les «rassemblements et surprendre les forces de police, trois points de départ étaient prévus : la place du Gouvernement actuellement place des Martyrs, Rue Marengo prés de la Mosquée de Sidi Abderrahmane et Bab Ejdid, dans la haute Casbah. La synchronisation des départs avait dévolu à chacun des 3 cortèges, une heure précise de démarrage calculée de telle sorte qu'en tenant compte de la distance à parcourir à une vitesse donnée, le cortège de Bab Ejdid devait déboucher le 1er sur la rue d'Isly (actuelle Ben M'hidi) en venant par les rues Rovigo et Henri Martin et arriver en tête de la manifestation à la Grande Poste ; le cortège de la place des martyrs devait arriver par la rue Dumont Durville et s'accoler au cortège de Bab Ejdid, et celui de la rue Marengo prendre la suite de celui de la place des martyrs. Tout cela devait constituer une masse de plusieurs dizaines de milliers de manifestants avec, à leur tête, les étudiants de l'université, Marocains, Tunisiens, Algériens ainsi que des Etudiantes. Je me dois de citer leurs noms et d'ouvrir une longue parenthèse, car cette jeunesse intellectuelle va jouer un rôle considérable, décisif dans l'histoire du mouvement national. Mamia AISSA (future Madame Abderezzak CHENTOUF), Mimi BELAHOUANE (future Madame Ahmed SIDI MOUSSA) et Kheira BOUAYAD-AGHA, de Tlemcen (future Madame Chawki MOSTEFAI) devaient être sur le devant du cortège ; puis, à coté et derrière elles, les étudiants Marocains dont Abdelkrim KHATIB, EL FASSI, THIBER, BOUCETTA, les frères BELABBES, DIOURI tous futurs ministres du Gouvernement Marocain, les Tunisiens dont, entre autres, Driss GUIGA, futur ministre, Tahar GUIGA, Abdelmalek BERGAOUI, les frères Said MESTIRI chirurgien émérite et Ahmed MESTIRI futur ministre, Mostefa LAAFIF et bien d'autres, soit une cinquantaine d'universitaires Maghrébins en tout . Ce seront ces camarades de faculté qui ont été, à l'instar de nous-mêmes, de véritables militants du Front de Libération Nationale de 1954 à 1962.

Ce que j'atteste avec détermination, puisque, déjà avant et lors de la création du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (G.P.R.A), je reçus pour mission de représenter l'Algérie combattante auprès du Gouvernement Tunisien d'abord, puis du Gouvernement Marocain. Je veux citer particulièrement, puisque l'occasion m'en est donnée , le Dr Abdelkrim KHATIB, ministre du Gouvernement de sa Majesté MOHAMED V puis de sa Majesté HASSAN II, dans les années 1960 et 61 qui nous a, dans une large mesure, par son action auprès de l'autorité marocaine, aidé à contrecarrer et faire échouer le projet de De Gaulle du « Sahara des riverains » auquel avaient déjà adhéré, avec enthousiasme, tous les autres pays riverains « Tunisie, Libye, Niger, Mali, Mauritanie » ; ce qui ouvrît la voie au succès des négociations entre le FLN et le Gouvernement Français par la déclaration du 5 septembre 1961 du général De Gaulle sur le Sahara: ( lire L'Algérie à Evian de Redha MALEK pages 175/176 ) pour aboutir aux accords d'Evian du 19 mars 1962. Par ailleurs, grâce, en plus, à son appartenance à la Direction du Parti de Ahardane, Ministre de la défense du Gouvernement Marocain, nous primes l'initiative, KHATIB et moi, de proposer au Gouvernement Marocain, d'importer, en tant qu'état souverain, de l'armement destiné à l'A.L.N. Le Roi MOHAMED V en a accepté le principe à la condition que les organisations civiles, le F.L.N et militaire, l'A.L.N, se comportent sur le territoire marocain, dans le respect strict de la souveraineté de l'état marocain. L'accord négocié par la Mission du GPRA de Rabat avec le ministre de l'intérieur BEKKAI et signé par BENTOBAL au nom du GPRA, ouvrit la voie à l'importation par le Gouvernement marocain de 4 bateaux remplis d'armes achetés par le GPRA, auprès des états socialistes, l'URSS notamment et destinés à l'A. L N de l'ouest.

Revenons au cortège de Bab Ejdid.

Un hasard malencontreux a voulu que la délégation marocaine rejoignit le point de rassemblement avec quelques 10 minutes de retard, ce qui nous a amené, en faisant une marche forcée du cortège, à déboucher directement dans la rue Ben M'hidi (ex Isly) pour rattraper le retard du démarrage. Le cortège de la place des Martyrs était déjà passé. Celui de Sidi Abderrahmane débouchera au début de la rue Ben M'hidi (ex Isly) où les deux cortèges se fondirent l'un dans l'autre. Quelques minutes plus tard en s'acheminant vers la Grande Poste, nous entendîmes, devant nous, le crépitement d'une mitrailleuse qui dura plusieurs secondes, suivie d'une clameur de la foule qui reflua en désordre, les gens abandonnant sur le trottoir chaussures, espadrilles, coiffures, même des sacs et des couffins. En quelques minutes, la rue Ben M'hidi avait retrouvé son calme où régnait un silence de mort. Le soir nous apprîmes que le mitraillage de la police ou de la gendarmerie avait provoqué la mort de 4 personnes Ghazali EL HAFFAF, Ahmed BOUGHLAMALLAH, Abdeikader ZIAR et Abdeikader KADI ainsi que des dizaines de blessés graves.

Le lendemain, nous lûmes, dans le journal du parti communiste algérien, le discours que Amar OUZEGANE a prononcé à la fin du défilé de la CGT, sur l'esplanade de la Grande Poste, appelant à la répression et l'extermination des «agents fascistes» du P. P.A qui osaient saboter la fête sacrée du monde du travail. Mahfoudh KADDACHE cite l'article de «Liberté» du 3 mai qui «dénonçait une poignée de misérables provocateurs, agents de l'hitlérisme liés aux féodaux européens et musulmans».

Mais le résultat politique était atteint. Nous avions démontré aux Américains (je cite encore KADDACHE) qu'ils se trompaient quand ils déclaraient à une délégation de nationalistes «Hocine ASSELAH, Hadj Mohamed CHERCHALI et Chadly MEKKI» que le peuple ne suivait pas le mouvement national.

La fusillade avait eu lieu au niveau du casino. Ces cortèges ont eu lieu dans certaines grandes villes avec un succès total. Seules Oran et Blida ont subi le même sort et les deux villes ont eu chacune un mort et des blessés.

LES MANIFESTATIONS DU 8 MAI.

Ayant fait le bilan de l'opération du 1er mai et mobilisé l'organisation pour porter secours aux blessés et à leurs familles, nous nous empressâmes de diffuser à toutes nos organisations locales des directives complémentaires concernant les prochains défilés de la victoire à savoir :

1) Les manifestations doivent être absolument pacifiques ; les mots d'ordre de prudence et de sang-froid largement diffusés parmi les manifestants ; le contrôle de ceux-ci pour récupérer toutes espèces d'armes éventuelles tels que armes à feu, couteaux, même les bâtons etc.

2) Les villes d'Alger, d'0ran et Blida s'abstiendront de manifester; de crainte que les récentes fusillades du 1er Mai, n'aient créé chez les militants et les manifestants, un esprit de revanche, contre les forces de l'ordre, propice aux provocations de celles-ci, toujours possibles.

3) Déployer en milieu de parcours, le drapeau algérien, qui venait d'être adopté par la Direction, quelques semaines auparavant.

Nous attendîmes alors l'armistice qui intervint le 7 Mai et les fêtes de la victoire des alliés furent fixées au 8 Mai 1945. Les détails de ces manifestations ont fait l'objet d'une description très détaillée de Mahfoud KADDACHE dans le Tome II (pages 702 et suivantes) de son livre «Histoire du Nationalisme Algérien» et de Redouane AINAD-TABET dans son livre très documenté «le 8 mai 1945». Ces deux publications sont incontournables pour qui veut connaître les

faits survenus. A ceux qui s'intéressent 9 cette période, je ne saurai trop leur recommander la lecture, et la réflexion sur ces deux oeuvres. Il se dégage de l'une comme de l'autre mais également du travail de Benyoucef BENKHEDDA dans «les origines du 1er Novembre 54» pages 97 et suivantes et de Mohamed HARBI dans «Mirages et Réalités» quelques données essentielles à la compréhension des événements.

Primo : pour la première fois on a assisté à la conjonction des deux mouvements nationalistes, réformiste autour de Ferhat ABBAS, et radical autour de Hadj MESSALI, c'est à dire, le P.P.A, combiné à une intrication structurelle des deux courants dans le mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté (A.M.L), et ce, à la demande de Ferhat ABBAS au P.P.A de lui prêter main forte, grâce à son organisation clandestine disséminée sur tout le territoire national, pour créer, rapidement, un grand mouvement de masse capable d'appuyer efficacement les revendications contenues dans le Manifeste du Peuple Algérien.

Certains auteurs ont présenté l’Association des Amis du Manifeste et de la Liberté (A.M.L) comme une initiative et une œuvre unilatérale des amis de Ferhat ABBAS, offrant ainsi l'occasion au P.P.A. de s'engouffrer à l'intérieur des A.M.L. pour en prendre le contrôle. Je m'inscris en faux contre cette vision des choses, suggéré après coup, après les événements tragiques de Mai 45, après les massacres des populations et l'emprisonnement des dirigeants des A.M.L. en la personne de Ferhat ABBAS et du Docteur SAADANE .

La vérité toute simple est que, si Ferhat ABBAS a effectivement pris l'initiative de lancer les A.M.L. et accompli de gros efforts pour la diffusion du Manifeste en sillonnant l'Algérie d'Est en Ouest, le mouvement n'a pas pu dépasser le stade du rassemblement de personnalités, appartenant à la classe moyenne, intellectuels, professions libérales, fonctionnaires, commerçants, bref un rassemblement bon enfant typiquement bourgeois. Ce qui a amené Ferhat ABBAS et Hocine ASSELAH à concevoir l'implication de l'organisation clandestine du P.P.A. pour dynamiser, le mouvement existant, en le structurant et en le popularisant.

Lorsque l'idée a été soumise à l'approbation de la Direction, cette dernière n'y a vu que des avantages pour le développement de l'idée nationale, avec, en plus, une ouverture plus grande de l'action de nos militants qui pouvaient désormais agir au grand jour, sous l'étiquette et le parapluie d'une organisation légale.

Secondo : La question de savoir qui a décidé et organisé les manifestations du 8 Mai 45 à travers le territoire Algérien a fait l'objet d'interprétations diverses et généralement erronées. En rappelant l'impérieuse nécessité de participer, ostensiblement, aux fêtes de la Victoire du camp occidental, et ce, à part entière, indépendamment de l'entité française et en contestation flagrante de la souveraineté française, grâce au déploiement d'un emblème national, il est clair que la décision du P.P.A. à l'échelle de sa Direction n'est pas contestable

Il paraît évident que Ferhat ABBAS et ses amis n'ont pas manqué, non plus, d'y avoir songé. Mais le fait est que, engagé solidairement dans le cadre des A. M. L, nous avons naturellement proposé à l'instance dirigeante de ce mouvement d'en prendre la paternité. La proposition était acceptable, sous réserve de non déploiement du drapeau qui représente une atteinte directe et flagrante à la souveraineté française et

...entraînerait immanquablement une action répressive immédiate. Mahfoudh KADDACHE rapporte dans son livre «Histoire du Nationalisme Algérien» (p 702), qu'afin d'annoncer son désir de participation aux manifestations de la victoire des Alliés, le Comité Central des A.M.L. prépare un tract, dont la

diffusion sera d'ailleurs interdite par le préfet d'Alger car, estimé par le préfet, trop violent et inacceptable, et dont voici le texte :

« Le Comité Central, résolu à participer aux fêtes qui suivront une victoire à laquelle le peuple algérien a largement participé,

Voulant s'associer en cette circonstance à tous les éléments démocratiques de l'Algérie

Résolu à manifester dans l'ordre et pacifiquement Décide : Toutes les sections locales des Amis du Manifeste et de la Liberté, devront prendre contact avec les autorités officielles et les partis démocratiques pour participer à ces manifestations.

Les mots d'ordre seront :

1) Vive la victoire des Démocrates sur le fascisme, l'hitlérisme, le colonialisme et l'impérialisme.

2) Amnistie générale pour tous les détenus et internés politiques musulmans.

Les pancartes qui seront présentées en cette occasion ne devront pas porter d'autres indications que celles de ces mots d'ordre inscrits en langue arabe et en langue française».

C'était donc, on ne peut mieux, une fin de non recevoir à notre proposition. Ce principe de la sacro-sainte légalité de toute action politique a toujours été la pierre d'achoppement dans nos relations avec les autres partis de la mouvance nationaliste.

Pour nous, la participation aux fêtes de la victoire était un impératif catégorique avec nos mots d'ordre et notre Emblème, afin que nul n'en ignore. Un ordre du jour, rédigé de mes propres mains, et décidé par la Direction du Parti en vue de réitérer, d'une manière pressante et insistante, les consignes de

précaution et de prudence face à d'éventuelles provocations, fut diffusé à toute l'organisation. Mahmoud GUENIFI responsable du P. P.A. à Sétif rappelle dans une interview de l'époque, citée par KADDACHE : « les directives reçues du Parti demandaient de profiter de la victoire des Alliés pour sortir le drapeau algérien. Les manifestants ne devaient avoir aucune arme. Les ordres étaient très stricts à ce sujet. Nous avons enlevé les armes aux militants et aux manifestants. Avant le 8 Mai, des rumeurs d'insurrection avaient circulé. Nous nous sommes même réunis avec Pierre Bloch, et Zelmati du consistoire, qui étaient inquiets car on leur avait dit que nous allions nous révolter contre les juifs. Nous les avions rassurés ».

Benyoucef BENKHEDDA rapporte dans son livre «Les Origines du 1er Novembre 1954», en analysant la question de l'Autorité qui a ordonné les Manifestations du 8 Mai, que Mohamed Lamine DEBAGHINE ne se souvient pas, que Ahmed BOUDA et Mahmoud ABDOUN affirment que l'ordre est venu des A.M.L, invoquant comme preuves l'absence de Manifestations à Alger et Oran. La cause de ces erreurs est que tout bonnement, ces trois dirigeants membres de la Direction étaient justement absents d'Alger au moment du refus de la Direction des A.M.L. de défiler avec nos slogans et le drapeau, soit le 4 Mai 45.

Mohamed Lamine DEBAGHINE se trouvait dans son cabinet médical à EI-Eulma, Ahmed BOUDA à Tablât et Mahmoud ABDOUN non concerné par cette opération. Mais ils avaient auparavant participé à la décision de ces manifestations quand elles étaient censées se passer dans le cadre des A.M.L.

C'est vrai qu'ils avaient également le droit de se tromper pour la simple raison que les militants et cadres des sections du P.P.A. qui ont reçu instruction pour défiler portaient également la casquette des A. M. L et que, très probablement, ils ont largement usé de cette qualité et de cette notoriété pour entraîner le maximum de monde pour assurer le succès des manifestations.

Le problème est donc très clair. Les défilés de la victoire qui sont la cause déclenchante des événements douloureux de Mai 45 ont été organisés par le P.P.A. et par le P.P.A seul.

Comment expliquer qu'une intention, qu'un objectif de nature essentiellement pacifiques débouchent sur une tragédie de cette dimension ?

Il est clair que la Manifestation de Sétif au cours de laquelle le jeune Bouzid SAAL a trouvé la mort, à l'instar de ses collègues porteurs du drapeau Vert et Blanc, à Alger, Blida et Oran, le 1 Mai, aurait pu en rester là, si les consignes données par la Direction, et les efforts déployés par les responsables (témoignages de Mahmoud GUENIFI, de Taarabit) pour désarmer, dissuader et disperser les manifestants ivres de vengeance, n'avaient pas été sournoisement et savamment sabotés par les agents de l'ordre public, Commissaire et Inspecteurs de police en tête et civils européens, tirant à partir des fenêtres d'immeubles. Vu l'état d'esprit des populations, rurales notamment, qui étaient majoritaires dans les cas de Sétif et Guelma et qui étaient, par tradition ancestrale, venues armées de gourdins, couteaux et autres armes à feu, dont la plupart avaient été confisquées par les services d'ordre, les manifestants réagirent dans un réflexe de vengeance et de haine accumulée et transformèrent rapidement le défilé en émeute. C'était, de toute évidence, le secret espoir des autorités lesquelles subissaient les pressions des populations européennes qui réclamaient, depuis quelque temps, déjà, une répression exemplaire du mouvement nationaliste.

L'extension rapide des émeutes à d'autres localités du Constantinois, rapportée à la rapidité de l'intervention de l’armée ainsi que la mise en œuvre immédiate de milices civiles qui tiraient à vue dans les villes, villages et campagnes sur tout ce qui portait burnous ou chèche ; tout cela signait la préméditation et la préparation. A ce titre, la relation du 8 Mai 1945 de Redouane AINAD-TABET est pleine d'enseignement. Je la spontanéité des populations rurales aient fait le jeu Une provocation savamment orchestrée, cela aussi est un constat de faiblesse de la montée en puissance du sentiment national ; mais cela servira pour la préparation des actions ultérieures.

Certaines rumeurs ont laissé entendre que l'extension des troubles n'était pas forcement fortuite ni spontanée et qu'il se trouvait des agents provocateurs à la solde de l'administration ou des colons qui appelaient au djihad ; peut être, même, des patriotes avérés, partisans organisés ou non, pressés d'en découdre. Incontrôlable, mais vraisemblable.

La réflexion la plus importante en face de ces événements

est la nécessaire prise de conscience de la gravité et du sérieux de la lutte en faveur de l'indépendance nationale. Les événements de Mai 45, découvrent le vrai visage du colonialisme : sanguinaire, aveugle, impitoyable. C'est à un combat sans merci qu'il faut se préparer.

Telle est la conclusion qui s'est imposée a nous.

Vers le 10 et le 11 Mai, des militants de Sétif et Guelma sont venus chercher de l'aide, supplier le Parti de faire quelque chose pour soulager la région, plongée dans un enfer de tueries et de destructions ; ils demandaient des armes pour se battre , « aidez-nous par pitié » répétaient t-ils.

Nous étions une petite poignée de dirigeants qui se trouvèrent brutalement confrontés à une situation d'une extrême gravité. La Direction restreinte se composait à ce moment là de cinq ou six personnes. Hocine ASSELAH, Hadj Mohamed CHERCHALLI, Said AMRANI, Chadly El MEKKI, Ahmed BOUDA et moi même.

Le problème posé réclamait une réponse urgente.

Que faire?

C'est la question que se pose Benyoucef BENKHEDDA, voir son livre « Les Origines du 1er Novembre 1954 » pages 102 à 107.

La concision et l'authenticité de sa présentation doivent certainement beaucoup au témoignage de Hadj Mohamed CHERCHALLI qui était son chef de cabinet à la présidence du G.P.R.A, qui possédait une excellente mémoire et avait vécu l'événement dans sa totalité avec Said AMRANI et moi-même,

L'ORDRE D'ACTION DE DIVERSION DIT «D'INSURRECTION GENERALE» POUR LA
NUIT DU 23-24 MA
I 45.

Nous avons vécu 48 heures de réunion non-stop, à l'affût des moindres informations qui nous rapportaient l'aggravation des massacres de populations et nous faisaient prendre conscience de la distance qui séparait nos ambitions de nos capacités. Est-ce qu'il y avait place pour une action politique quelconque. Pouvait-on suspendre la tuerie en alertant les médias à l'échelle mondiale, fallait-il décider de manifestations de masses pour contrecarrer une action génocidaire, sans risque de voir ces actions dégénérer en jacqueries entraînant les massacres à l'échelle du pays ; certains ont considéré et écrit que le Comité directeur désemparé, perdant son contrôle. s'est laissé imposer par les responsables Constantinois, le recours à l'insurrection générale.

Heureux les historiens qui confectionnent l'Histoire et ne se donnent pas le temps de s'informer auprès des protagonistes des événements qu'ils rapportent.

Au cours de nos échanges de points de vue, une idée me traversa l'esprit. C'est un adage qu'on utilise souvent dans le terroir Sétifien et notamment à Bordj Bou Arreridj où j'ai grandi quand se pose un problème ardu :c'est celui-ci. (kabbarha tesghar et khallathaa tesfa), expression qui évoque le paradoxe de la guérison du mal par le mal.

Lorsque j'en fis part à mes collègues , le sens de cette locution apparut au grand jour , cette idée est venue enrichir notre réflexion ce qui nous a permis de prendre une décision. Les émeutes paysannes telles celles de Sétif, Guelma ont drainé des forces militaires dans ces régions : mais si des troubles éclataient ailleurs, dans le reste du territoire : dans l'Algérois, la Kabylie, l'Oranie, que feraient l'armée française, les régiments de légionnaires, les forces de répression massives ? ils n'auraient d'autres ressources que de se replier pour faire face à la situation. La logique d'une telle hypothèse apparut clairement aux yeux des membres présents.

Que fallait-il faire au juste ? II fallait surtout ne pas faire appel à la population. L'échauffement des esprits dus aux événements contribuerait très probablement à multiplier les actes inconsidérés et improvisés qui caractérisent les jacqueries dont le bénéfice est aléatoire pour la raison principale qu'ils sont incontrôlables et échapperaient totalement à l'autorité déclenchante.

Par contre, notre organisation structurée et disciplinée pouvait déclencher à travers l'Algérie des actes de sabotage et de destructions, caractéristiques d'un programme d'actions organisées et assujetti à une Direction moderne, donc capable d'une stratégie de lutte beaucoup plus dangereuse que les flambées meurtrières actuelles.

Ce genre d'action est-il possible ? OUI !

Quels en sont les risques ?

-Sur les opérations : se mettre en clandestinité s'ils ont le sentiment de n'être pas découverts ou soupçonnés ; si oui, prendre le maquis :

-Sur la Direction du Parti et cadres principaux :

clandestinité immédiate.

Protéger les archives et les liaisons.

Quels seraient les avantages d'une telle action.

-Obliger l'ennemi à se déconcentrer, donc à soulager les régions martyrisées du Constantinois,

-Montrer la capacité de l'organisation à passer à un stade supérieur de la lutte : l'insurrection armée.

-Enfin, doper le moral de la population et des militants.

Nous évoquons délibérément, des doutes sur notre capacité de faire face à la situation par la suite, sans moyens financiers, sans préparations des militants, certes courageux, mais sans expérience. D'autres arguments balayent d'un geste ces considérations. Peut-on prévoir, dans le moindre détail, comment les choses vont se passer ? Faut-il être experts en insurrection pour l'envisager ? Bref, ce n'est pas faute d'avoir cherché une solution, que petit à petit on s'achemina vers une décision de faire ce qui était en notre pouvoir, et ne pas adopter l'attitude la plus facile, la plus commode, la moins responsable , la moins risquée, la moins critiquable en cas d'erreur ou fausse manœuvre, celle de ne rien faire , celle de se croiser les bras en implorant la pitié des hommes, plus bêtes sauvages que des hommes.

Le vote intervenu fut unanime pour décider de créer des centre de fixation des forces répressives ; en prenant ses précautions, en restant à l'écoute des événements, en surveillant le développement de ces actions qui pourraient, pourquoi pas, à priori, être le prélude à une action plus en profondeur et durable dans le temps. C'était vraiment le contraire d'une «improvisation intempestive» dont nous a gratifié, le professeur agrégé, Gilbert Meynier dans son dernier livre «histoire intérieure du F.L.N» en parlant de Mai 45.

La décision est prise. Non d'une insurrection générale proprement dite comme tout le monde l'écrit y compris Benyoucef BENKHEDDA par simplification de langage, mais en vérité d'une action de diversion, qui devait peut être déboucher

sur une insurrection, c'est vrai, mais ce n'était là qu'une hypothèse soumise aux réalités du terrain.

Les tâches furent ainsi réparties

-Mohammed BELOUIZDAD pour l'Algérois,

-Ahmed BOUDA pour Tablât et l'Arba « où deux cents tabors marocains étaient prêts à marcher avec armes et

bagages », disait-il,

-M'Hamed BEN M'HEL pour le Sud Algérois,

-Djillali REGUIMI pour Cherchell

-Ali HALLIT pour la Kabylie.

-Messaoud BOUKADOUM et Chadiy EL MEKKI pour le Constantinois,

-Mohammed MAHFOUDI et Abdellah FILLALI pour

l'Oranie.

En quelques jours l'efficacité de nos structures et de notre organisation a permis donc de transmettre les instructions à la plupart des régions, malgré l'arrestation de Messaoud BOUKADOUM.

Nous étions réunis non-stop dans l'appartement du propre frère de Hadj CHERCHALLI, d'après Sid Ali ABDELHAMID, quelque part à Bab-EI-Oued.

Contrairement à notre attente, les militants envoyés auprès des sections nous communiquaient les difficultés rencontrées pour convaincre les cadres du bien fondé de notre décision : trop de précipitations, situations familiales, moyens financiers, état d'esprit de la population, bref un terrain psychologique peu favorable, sauf certaines localités dans l'Ouest, et en Kabylie. A l'Est, la presse faisait état de la « soumission » des rebelles sans qu'on sache trop ce que cela voulait dire.

Par contre, de bonnes nouvelles nous parvenaient. Sétif et Guelma assistaient à des déplacements de troupes qui prenaient la direction de l'Algérois, et enregistraient un certain ralentissement dans les actes répressifs. Il semblait que notre analyse était correcte et que la menace d'actions considérées comme le début d'un insurrection armée généralisée avaient été prise en considération par les autorités coloniales.

Un autre fait est venu confirmer cette interprétation. Un militant de l'organisation qui travaillait au gouvernement général à informé la cellule dont il dépendait, le 15 ou 16 mai, qu'il avait pris connaissance d'un bulletin d'information, au cours de ses activités, de traducteur si je ne me trompe, émanant du service du colonel Schoen.

Ce dernier faisait état du projet d'actes insurrectionnels de la part du P. P.A dans différentes régions et préconisait les mesures administratives et militaires destinées à faire échouer le projet nationaliste.

Cette nouvelle rapportée par Said AMRANI à la Direction ajoute un froid supplémentaire au peu d'enthousiasme déjà enregistré dans la plupart des régions pour notre initiative.

A partir de là, des questions commencèrent à se poser à nous.

LE CONTRE ORDRE DU 18 MAI 1945

Notre objectif principal, de soulager la pression exercée sur les populations, rurales notamment, était en train de se réaliser sous nos yeux. Des militants venus à Alger prirent contact avec l'organisation et AMRANI nous confirmait que beaucoup de militaires quittaient la région par train ou par camion, même les milices civiles tendaient à se raréfier. On assistait à une activité policière prédominante sous forme d'arrestations massives parmi la population urbaine, raflant sans discrimination militants ou cadres qu'ils soient PPA ou AML.

Visiblement nous avions réussi. La décrue avait commencé. Elle ne pouvait que se poursuivre, à la condition de ne pas la contrecarrer.

Nous nous sommes trouvés avec un sacré problème ; la Direction elle-même s'est trouvée réduite à sa plus simple expression par l'éparpillement des autres dirigeants chargés de porter le message d'élargissement des actions armées. Il ne restait à Alger que CHERCHALLI, AMRANI et moi-même ; bientôt rejoints par Hocine ASSELAH qui, arrêté le 4 Mai, s'est fait admettre à l'Hôpital MUSTAPHA d'où il s'évada, avec l'aide de Said AMRANI , ancien collègue du CARNA.

La question lancinante était là : arrêter ou continuer.

Les raisons ne manquaient pas d'arrêter les frais. L'accueil, mitigé et inégal des sections du Parti présageait une extension boiteuse, et sporadique de ce qui n'apparaîtrait aux yeux de l'ennemi que comme des incidents sans signification politique ; la prise en main instantanée par l'armée de la lutte contre le projet d'insurrection nationaliste, révéla notre décision d'extension des actions soit par des documents trouvés sur des personnes arrêtées, soit tout simplement par des indiscrétions dues à la présence d'agents de l'administration infiltrés parmi nous, chose improbable, certes, mais toujours possible.

Et somme toute, pourquoi avons nous fait tout ce tralala. C'était pour alléger le poids de la répression dans les régions de Sétif et Guelma. Nous avons réussi à porter secours. Alors notre but atteint : arrêtons nous.

Raisonnement logique, certes. Mais difficile à avaler l Nous aurions l'air de quoi ? On mobilise des militants qui vont aller au casse-pipes, parce qu'ils font confiance à la Direction de leur Parti, confiance à des hommes qu'ils n'ont jamais vus, et qui jouant, sur leurs nerfs, les appelle aujourd'hui à prendre les risques d'une guerre et demain à réintégrer leurs pantoufles.

Et après tout, pourquoi partir perdants d'avances : la France est-elle en situation de force ? Quels sont les effectifs de son armée ? Pourra-t-elle faire face à des actions disséminées sur tout le territoire. Après tout, c'est peut-être l'occasion, de rattraper le projet mort né d'une insurrection à partir du 1er Octobre 1940 quand le groupe d'une dizaine d'étudiants de la faculté d'Alger avait décidé de recruter Lamine DEBAGHINE qui l'en dissuada parce que c'était inopportun et plus profitable de la préparer dans le cadre d'une organisation comme le PPA. Personnellement j'éprouvais un grand malaise de ne pas trouver le chemin de la vérité. Les autres membres, chacun de son côté interrogeait sa conscience, continuer où s'arrêter.

Les états d'âmes dramatiques et les questionnements perduraient pendant quelques 36 heures, d'affilée, sans discontinuer et sans sommeil, sans qu'on parvienne à une décision. Le temps était compté. S'il fallait arrêter la machine en marche, il ne fallait pas attendre le dernier jour.

Et puis, je me rappelais, à un moment donné, je me rappelai les paroles de Mohamed Lamine DEBAGHINE, quand je lui avais annoncé le projet de déclenchement, par les étudiants, de l'insurrection armée pour le 1er Octobre 1940:

" une insurrection qui échoue fait plus de mal que de bien" Les révoltes antérieures, pour ne citer que celles de l'Emir Abdeikader, Zaatcha, Ouled Sidi Cheikh, Mokrani, Bouamama et tant d'autres, n'ont eu d'autres résultats que la répression féroce et sanglante, génocidaire, la spoliation de centaines de milliers d'hectares de terre, la destruction des villages, l'asservissement de la population qui, soumise, ne mettra que de longues décennies à retrouver petit à petit, le chemin de la liberté et de la lutte pour son indépendance.

Pour moi, ça devenait très clair. Le jugement porté bien tard par des militants sur l'abandon de l'action généralisé, et cela n'a pas manqué de constituer une attaque en règle de la Direction du Parti en termes plus proches de l'invective que de la critique, cela ne me créait aucune espèce d'angoisse : la vision idyllique de la lutte insurrectionnelle mettant en déroute les troupes françaises et leur écrasement comme, dans ce que sera plus tard, le Dien Bien Phu algérien tel que le rêvait Frantz Fanon dans son éditorial du journal "Résistance" en 1957 ou 58 à Tunis ne me créait aucune espèce d'allégresse ; car j'étais suffisamment conscient de l'importance vitale d'une action réfléchie, dans le calme et la sérénité de notre bon droit et juste cause, l'importance d'un consensus aussi large que possible associant militants, cadres et dirigeants, au lieu d'une décision prise sous l'effet d'un événement tragique par une quarteron de militants dont on reprochera plus tard, l'audace, en faisant abstraction du double courage dont ils ont fait preuve, celui d'avoir une fois osé déclarer la guerre à l'oppresseur et, une deuxième fois affronter les reproches injustes et venimeux pour avoir songé à faire ce qu'il fallait pour réserver toutes les chances de l'avenir.

Arrivé à ce stade de la réflexion, et de la discussion approfondie, sérieuse, responsable, je fis part de ma conviction que, si on veut rendre service à notre pays et à notre peuple, nous n'avons pas le droit de galvauder la chance que nous avons aujourd'hui de mobiliser des forces d'actions dans une guerre aventureuse.

C’est pour la deuxième fois que pareil dilemme s’impose à moi ; aujourd’hui et en juin 1940 lorsqu’il a fallu choisir entre écouter les conseils de bon sens et de prudence de Mohamed Lamine DEBAGHINE et notre amour propre mis en mauvaise posture dans un retournement de veste qu’était le report, à plus tard, de l’ouverture de la guerre de libération située au 1er Octobre 1940, report que nos camarades de Kabylie, Mouloud MAMMERI et Hocine BENALI n’ont pas manqué de nous reprocher ; ce faisant, nous allions troquer une prise immédiate de direction d’une révolution nationale par les élites, au profit d’une direction plébéienne aux contours mal définis. Il y avait du vrai dans leurs reproches. On s’en apercevra quand on fera plus tard, le bilan de l’activisme, de l’agitation = propagande désordonnée et stérile, du panurgisme et du messianisme.

Ma position était qu’il fallait annuler l’ordre dit d’insurrection pendant qu’il était temps. De cette façon nous préserverions pour notre peuple, pour notre organisation toutes les chances de reprendre le projet dans de meilleures conditions, de maturité, de confiance, de préparation technique et politique. Notre première tâche est de poser, au sein de notre organisation, la question de la stratégie générale de lutte. Au point de vue du développement de l’idée d’indépendance, nous avions accompli un pas considérable. Entre 1940 et 1945, l’algérien ne se reconnaît plus. Il a pris conscience de lui-même, de sa situation, de ses moyens et de ses ambitions.

Ce 8 mai 45 a coûté cher à notre peuple, certes, mais il nous aura rendu un immense service : celui de nous faire comprendre que l’ère de la revendication platonique est définitivement enterrée, que l’incantation verbale de l’indépendance est largement dépassée ; que Mai 45 constitue une charnière dans l’ordre mondial et que la lutte contre la domination coloniale doit prendre une tournure concrète, réaliste, efficiente, patiente et constructive pour créer un nouvel équilibre de force entre nous et l'adversaire.

Dorénavant, le concept de rapport de force doit être la base essentielle et le leitmotiv de notre réflexion. Ce rapport de force sera moral, culturel, technique, scientifique, économique, diplomatique, politique pour sous-tendre la préparation, la formation, l'accumulation des moyens de la lutte armée. La lutte contre l'oppression coloniale dans un pays qui est une colonie de peuplement ne peut pas connaître le succès sans le recours aux armes. Ce recours aux armes est le point de passage obligé pour amener la puissance coloniale, quelle que soit sa force, à envisager, de négocier. A partir de là, la révolution libératrice entre dans une période de flux qui la mènera jusqu'à la victoire finale.

Forts de cette conviction, nous primes notre courage à deux mains et décidâmes d'arrêter les frais. C'était le 18 Mai 45. Il restait 5 jours avant le jour J du déclenchement et ce, à l'unanimité, Hocine ASSELAH, Hadj Mohamed CHERCHALLI, Said AMRANI et moi-même.

Certaines sections n'ont pu être avisées à temps, malheureusement, et ce n'était pas le moindre de nos regrets.

Mais la perfection n'est pas de ce monde. Plus tard, je crois que tout le monde à bien reconnu la sagesse et le bien fondé de notre décision.

Le 8 Mai a puisé une partie de ses sources dans la débâcle de la France en 1940.

- Il a vécu ce qu'ont vécu les révoltes de l'Emir Abdelkader, de Ahmed BEY, de Boumaaza, de Zaatcha, de Laghouat et Tougourt, des Kabyles, des Ouled Sidi Cheikh, El-Mokrani, Bouamama du Sahara et tant d'autres.

-Il a donné naissance à l'O.S ( l'Organisation Spéciale ).

-II a dopé la préparation de la lutte armée à Zédine (en

Décembre 48 ) en renforçant et en activant l'O.S.

-Il a enfanté le 1er Novembre 54.

-Il a contribué à la résurrection du peuple algérien le 3

Juillet 1962.

Avant de vous quitter, puisque nous nous efforçons, tous, de rendre à l'Histoire, toute sa vérité, 'toute son authenticité, je manquerais à ce devoir si je ne relatais, dans le cadre de la bonne humeur qui préside à cette journée d'études, l'anecdote suivante. Il y a quelque vingt ans, je rencontrais souvent, en tant que voisin de plage, à titre amical et même parental, un ancien très haut cadre de l'Etat et nous passions des moments agréables d'échange d'idées, autour d'un excellent thé à la menthe que sa femme nous confectionnait.

Un jour, il me vint à l'idée de lui demander, mi sérieux, mi amusé, ce qu'il y avait de vrai dans une vague rumeur qui laissait entendre, que le pouvoir allait décider d'une retraite mirobolante, à tous les hauts cadres qui totalisaient plus de 10 années de membres du bureau politique.

« Oui, me répondit-il, mais ça n'est qu'une idée pour l'instant ».

C'est dommage qu'elle ne soit qu'au stade de l'idée.

Mais si ça devait se concrétiser, je toucherais le gros lot, moi.

« Mais tu n'as jamais fait partie du bureau politique que

je sache, me répond-il »

Ah si ! J'ai totalisé onze années pleines dans le B.P, de

1940 à 1951.

« Pouf : fit-il de la main comme pour chasser une mouche ; ça ne compte pas, ça ! »

- Tiens, et pourquoi ça ne compterait pas. Le 1er Nov. 54,

serait tombé du ciel, et ce qui a été fait avant, qu'est-ce que vous en faites ?

«Oh ça l ça ne compte pas ; on a décidé. C'est fini. On a

pris à partir de 1954, et on ne revient pas là dessus ».

C'est la meilleure, dis-je au seuil de l'hilarité Bon, mais alors vous avez un problème à résoudre, dis-je ; pour bien effacer l'Histoire, il vous faudra changer de drapeau ! le drapeau du million et demi de Chahids ! «

J'arrive au terme de mon exposé et je souhaite seulement qu'il vous a intéressé et qu'il a contribué a clarifier certaines de vos connaissances de l'événement....et de l'Histoire.

Encore une fois, merci pour votre attention.

Afin que nul n'oubli l'histoire de l'Algérie

Publié dans Indépendance

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